En Lettonie, des lopins de terre distribués aux plus pauvres
Vaive (Lettonie) Envoyé spécial Olivier TURC "LE MONDE"
Pendant tout l'automne 2009, Laiga Lidaka a préparé des conserves avec les légumes récoltés sur une petite parcelle de terre à Vaive, une commune de 1 700 habitants située à une centaine de kilomètres à l'est de la capitale de la Lettonie, Riga. "Le reste est à la cave. Cela me fait des légumes jusqu'au printemps. Sans cela, je n'aurais rien eu à manger pendant cet hiver." Cette parcelle de terre qui est son salut, elle l'a obtenue gratuitement de la commune, dernier recours pour les plus nécessiteux dans un pays frappé par la crise.
Le chômage atteint officiellement 16 % parmi les 2,3 millions d'habitants tandis que le PIB a reculé de 17 % en 2009, faisant de la Lettonie le pays de l'Union européenne (UE) le plus touché. Les mécontents sont de plus en plus nombreux, comme à Riga où des Lettons campent depuis un mois en dépit d'un froid mordant devant le palais du gouvernement pour protester contre cette situation.
A Vaive, depuis la mi-octobre, Laiga Lidaka, âgée de 55 ans, et ses deux enfants à charge ont le statut de famille pauvre. Elle a bénéficié d'un programme insolite mis en place par la commune, qui a décidé de distribuer des lopins de terre aux plus démunis. Sur les vingt familles concernées, neuf ont accepté l'offre. Bien d'autres seront concernées au printemps. Plusieurs communes ont suivi l'exemple tandis qu'au niveau national, 100 000 foyers bénéficient d'un quota d'électricité gratuite cet hiver.
Auparavant, Laiga Lidaka avait travaillé pendant deux mois dans une école de Cesis comme femme de ménage. Elle faisait les allers-retours à pied. "C'était loin." Elle n'en pouvait plus. Elle a arrêté. Elle et ses enfants touchent 180 lats (255 euros) par mois. Elle reçoit aussi 100 lats d'une bourse européenne. Son plus jeune fils, Janis, récupère une petite pension comme orphelin de père. Son autre fils, qui vit avec elle, âgé de 30 ans, travaillait dans le bâtiment. Comme beaucoup d'autres ouvriers du secteur, il est au chômage. Mais comme il travaillait au noir, il n'a pas droit à des indemnités.
Un troisième fils est parti en Angleterre. Il travaille aussi dans le bâtiment et vient d'avoir un enfant. "J'aime mon pays, dit Laiga Lidaka, et j'ai pleuré quand j'ai vu que mon premier petit-fils était né à l'étranger." Beaucoup de jeunes Lettons tentent ainsi, depuis des années, leur chance à l'étranger. Et en dépit de la crise dans les autres pays européens, le phénomène ne s'est pas tari. Au contraire, ce sont des familles entières qui émigrent. Une soixantaine de personnes ont quitté le village. Auparavant, c'était l'homme qui partait. Il envoyait de l'argent au pays, faisant rentrer des devises. Désormais, cette manne reste à l'étranger.
D'autres se noient dans l'alcool. "C'est dramatique, dit Rudite Petrova, responsable de l'aide sociale à Vaive. Ils en oublient leurs enfants." Des enseignants n'ont plus d'emploi, les autres ont vu leur salaire diminué. Personne n'a encore perdu sa maison à Vaive, mais de nombreux huissiers ont déjà rendu visite aux plus endettés.
Valda Zalaiskalna, directrice administrative de la commune de Vaive, qui, comme les autres fonctionnaires locaux, a vu son salaire réduit de 20 %, se veut toutefois optimiste : "Les Lettons peuvent survivre en enfer", lance-t-elle. "Nous avons de la terre et la terre nous nourrit. Nous pouvons nous nourrir par nous-mêmes. Mais notre législation sociale est boiteuse et le gouvernement ne pense pas à la population. La situation va continuer à se détériorer, or l'état de nos finances empire."
Le 1er janvier, la législation a changé. Au lieu d'un paiement dégressif des allocations chômage (100 % du salaire les deux premiers mois, puis 75 % les deux mois suivants et 45 lats mensuels les cinq derniers mois), les chômeurs touchent maintenant 50 % de leur salaire pendant les neuf mois d'indemnisation. "Après ces neufs mois, les chômeurs deviennent nos clients", explique Rudite Petrova.
Laiga Lidaka, elle, s'inquiète pour l'avenir. "J'ai dix ans à tenir jusqu'à la retraite. Dix ans à vivre comme ça ? Je ne veux pas y penser. Et pour quelle retraite ? Les retraités touchent 140 lats par mois." Pour elle, cette crise, c'est la faute du gouvernement. Et quand une émission politique passe à la radio, elle éteint désormais son poste.
Olivier Truc Article paru dans l'édition "Le Monde" du 02.01.10 Abonnez-vous au Monde à 17€/mois
Pendant tout l'automne 2009, Laiga Lidaka a préparé des conserves avec les légumes récoltés sur une petite parcelle de terre à Vaive, une commune de 1 700 habitants située à une centaine de kilomètres à l'est de la capitale de la Lettonie, Riga. "Le reste est à la cave. Cela me fait des légumes jusqu'au printemps. Sans cela, je n'aurais rien eu à manger pendant cet hiver." Cette parcelle de terre qui est son salut, elle l'a obtenue gratuitement de la commune, dernier recours pour les plus nécessiteux dans un pays frappé par la crise.
Le chômage atteint officiellement 16 % parmi les 2,3 millions d'habitants tandis que le PIB a reculé de 17 % en 2009, faisant de la Lettonie le pays de l'Union européenne (UE) le plus touché. Les mécontents sont de plus en plus nombreux, comme à Riga où des Lettons campent depuis un mois en dépit d'un froid mordant devant le palais du gouvernement pour protester contre cette situation.
A Vaive, depuis la mi-octobre, Laiga Lidaka, âgée de 55 ans, et ses deux enfants à charge ont le statut de famille pauvre. Elle a bénéficié d'un programme insolite mis en place par la commune, qui a décidé de distribuer des lopins de terre aux plus démunis. Sur les vingt familles concernées, neuf ont accepté l'offre. Bien d'autres seront concernées au printemps. Plusieurs communes ont suivi l'exemple tandis qu'au niveau national, 100 000 foyers bénéficient d'un quota d'électricité gratuite cet hiver.
Auparavant, Laiga Lidaka avait travaillé pendant deux mois dans une école de Cesis comme femme de ménage. Elle faisait les allers-retours à pied. "C'était loin." Elle n'en pouvait plus. Elle a arrêté. Elle et ses enfants touchent 180 lats (255 euros) par mois. Elle reçoit aussi 100 lats d'une bourse européenne. Son plus jeune fils, Janis, récupère une petite pension comme orphelin de père. Son autre fils, qui vit avec elle, âgé de 30 ans, travaillait dans le bâtiment. Comme beaucoup d'autres ouvriers du secteur, il est au chômage. Mais comme il travaillait au noir, il n'a pas droit à des indemnités.
Un troisième fils est parti en Angleterre. Il travaille aussi dans le bâtiment et vient d'avoir un enfant. "J'aime mon pays, dit Laiga Lidaka, et j'ai pleuré quand j'ai vu que mon premier petit-fils était né à l'étranger." Beaucoup de jeunes Lettons tentent ainsi, depuis des années, leur chance à l'étranger. Et en dépit de la crise dans les autres pays européens, le phénomène ne s'est pas tari. Au contraire, ce sont des familles entières qui émigrent. Une soixantaine de personnes ont quitté le village. Auparavant, c'était l'homme qui partait. Il envoyait de l'argent au pays, faisant rentrer des devises. Désormais, cette manne reste à l'étranger.
D'autres se noient dans l'alcool. "C'est dramatique, dit Rudite Petrova, responsable de l'aide sociale à Vaive. Ils en oublient leurs enfants." Des enseignants n'ont plus d'emploi, les autres ont vu leur salaire diminué. Personne n'a encore perdu sa maison à Vaive, mais de nombreux huissiers ont déjà rendu visite aux plus endettés.
Valda Zalaiskalna, directrice administrative de la commune de Vaive, qui, comme les autres fonctionnaires locaux, a vu son salaire réduit de 20 %, se veut toutefois optimiste : "Les Lettons peuvent survivre en enfer", lance-t-elle. "Nous avons de la terre et la terre nous nourrit. Nous pouvons nous nourrir par nous-mêmes. Mais notre législation sociale est boiteuse et le gouvernement ne pense pas à la population. La situation va continuer à se détériorer, or l'état de nos finances empire."
Le 1er janvier, la législation a changé. Au lieu d'un paiement dégressif des allocations chômage (100 % du salaire les deux premiers mois, puis 75 % les deux mois suivants et 45 lats mensuels les cinq derniers mois), les chômeurs touchent maintenant 50 % de leur salaire pendant les neuf mois d'indemnisation. "Après ces neufs mois, les chômeurs deviennent nos clients", explique Rudite Petrova.
Laiga Lidaka, elle, s'inquiète pour l'avenir. "J'ai dix ans à tenir jusqu'à la retraite. Dix ans à vivre comme ça ? Je ne veux pas y penser. Et pour quelle retraite ? Les retraités touchent 140 lats par mois." Pour elle, cette crise, c'est la faute du gouvernement. Et quand une émission politique passe à la radio, elle éteint désormais son poste.
Olivier Truc Article paru dans l'édition "Le Monde" du 02.01.10 Abonnez-vous au Monde à 17€/mois